Histoire du mouvement antifasciste allemand. ( Lectures)

Bernd Langer, Antifa – Histoire du mouvement antifasciste allemand, Libertalia/La Horde, 2018, 286 p.

Né en 1960, l’auteur participe au mouvement antifasciste allemand depuis 1977. Dans ce livre, dont la traduction française est à l’initiative du collectif antifasciste français La Horde[1], il propose une histoire de l’antifascisme en Allemagne des origines à la période contemporaine en deux parties : 1918-1945 et 1945-2015. L’hétérogénéité profonde entre les deux époques est frappante. La première est marquée par l’échec des tentatives révolutionnaires des années 1918-1923 et l’arrivée du nazisme au pouvoir en 1933 ; la seconde par l’existence de deux États jusqu’en 1990 où l’un fait de l’antifascisme une idéologie d’État, l’autre voit la gauche extra-parlementaire s’opposer au néonazisme.

Les années 1920 voient la création du Parti communiste allemand, membre de l’Internationale communiste (Komintern), qui « se métamorphosa en l’espace de quelques années en un parti stalinien ». Avec la crise de 1929, on assiste à la percée fulgurante du NSDAP, le parti nazi, qui, de « petit parti sans importance » au milieu des années 1920, devient aux élections de septembre 1930 la deuxième force au Parlement : il passe de 810 000 électeurs en 1928 à 6,4 millions cette année-là. Langer insiste sur les méfaits de la politique de Staline avec la lutte contre le social-fascisme (curieusement traduit par « fascisme social ») : la social-démocratie est considérée comme l’ennemi principal de la révolution, avant le fascisme lui-même. Les conséquences de ce positionnement amènent les pseudos communistes à faire front commun avec les nazis à plusieurs reprises. En mai 1933, trois mois après la nomination d’Hitler comme chancelier le 30 janvier, une résolution du comité central du KPD assène encore, quelques jours avant l’interdiction et le démantèlement du SPD par les nazis : «  La complète éviction des sociaux-fascistes [i.e. les sociaux-démocrates] de l’appareil de l’État, l’oppression brutale dirigée également contre les organisations sociales-fascistes et leur presse ne changent rien au fait qu’ils représentent aujourd’hui comme hier le principal soutien social de la dictature du capital. » De leur côté, les sociaux-démocrates sont majoritairement hostiles au KPD – qui, comme on l’a vu, le leur rend bien – et sont obsédés par le respect de la légalité au point de ne rien faire lors du « coup de Prusse » de septembre 1932 ou après la nomination d’Hitler. Cette division sera fatale à ce qui était le mouvement ouvrier le plus puissant d’Europe. Langer n’oublie pas de mentionner les positions des autres groupes politiques de gauche, dont le plus important était le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei) qui « voulait être un lien entre le KPD et le SPD et se prononçait pour un front uni effectif », et les différents groupes d’opposition communiste, tous plus lucides sur les dangers du fascisme mais trop faibles pour peser sur les événements. Il évoque le groupe socialiste de gauche Neu Beginnen (Nouveau départ), mais ne mentionne pas les conséquences internationales de son opposition au nazisme en lien avec le mouvement ouvrier juif aux États-Unis[2]. Mais, comme Langer le souligne pour la politique allemande, « à partir de 1933, la résistance antifasciste resta largement inefficace et n’eut qu’une dimension morale »… Il examine néanmoins les événements suivants (nuit des longs couteaux, revirement du Komintern vers les politiques de Front populaire, opposition des jeunes (Edelweisspiraten)[3], « grande trahison du pacte germano-soviétique », le 23 août 1939, salué par la direction en exil du KPD, et début d’une nouvelle guerre mondiale.

Après 1945 et la partition de l’Allemagne entre RDA et RFA, la question de l’antifascisme se pose différemment. Dans la première, il est décrété par l’État ; dans la seconde apparaît assez vite un néofascisme qui reste marginal. C’est au début des années 1980 qu’apparaît une organisation antifasciste à l’échelle nationale dans le sillage de tous les courants de l’extrême gauche radicale. On suit dès lors ses combats, ses réussites, ses échecs, ses débats (par exemple sur l’anti-patriarcat, l’anti-impérialisme, la mondialisation et le néolibéralisme). Sa créativité culturelle est soulignée par un copieux cahier iconographique de 32 pages issu du travail du collectif Kunst und Kampf (Art et combat), avec des explications sur les modifications du logo de l’Antifaschistiche Aktion de 1932 – une organisation annexe du KPD – en l’actuel, qui date de 1989, mêlant drapeaux rouge et noir avec un retentissement international.

Le livre est complété par deux utiles glossaires des personnes et des organisations. Un index des noms et groupes cités aurait été utile, de même qu’une bibliographie pour le lecteur francophone. On regrettera quelques erreurs qu’une réédition pourra aisément rectifier (par exemple, les Brigades internationales ne sont pas une création du gouvernement de Front populaire mais sont fondées par le Komintern). Bref, une synthèse éclairante et informée alors que, pour la première fois en Allemagne depuis 70 ans, un parti d’extrême droite est en passe de prendre pied au premier plan de la vie politique du pays…

LS

[1] http://lahorde.samizdat.net/

[2] Sur ce point, lire la belle étude de Catherine Collomb, Résister au nazisme – Le Jewish Labor Committe, New York, 1934-1945, CNRS éditions, 2016.

[3] Sur les différentes résistances au nazisme, on lira en français : François Roux, Auriez-vous crié « Heil Hitler ? » – Soumission et résistance au nazisme (1918-1946), Max Milo, 2011.

Article paru dans *La Révolution prolétarienne*, n° 803, décembre 2018. La revue est vente dans les librairies marseillaises l’Hydre aux mille têtes, l’Odeur du temps et Transit.

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