Tribune – Le langage comme outil d’oppression de/par l’extrême-droite et leurs ami·e·s

Solidaires 13 est signataire de cette tribune, publiée en réponse aux sanctions de la région PACA contre les associations utilisant l’écriture inclusive.


Le 23 avril 2025, le président de la Région PACA Renaud Muselier rend publique sa « Trajectoire valeurs » nous annonçant un « plan décennal pour garantir la liberté de créer ». Cette liberté y est pourtant contredite par la mesure suivante : « Stop à l’écriture inclusive au sein de l’administration et dans les demandes de subvention ». Pourquoi un tel acharnement sur l’écriture inclusive ?
Cette annonce fait écho au rapprochement entre la présidence de la région et l’extrême droite, confirmé dès 2023 avec le vote à l’unanimité d’une motion proposée par le groupe RN demandant « l’engagement de la Région à ne pas promouvoir directement ou indirectement l’écriture inclusive ». Elle s’inscrit aussi dans la droite ligne de la proposition de loi adoptée par le Sénat (mais pas par l’Assemblée nationale) contre « les dérives » de cette forme d’écriture visant à « démasculiniser la langue ».

Cette proposition de loi, déjà très réactionnaire, visait à ne pas promouvoir l’écriture inclusive. Renaud Muselier dépasse ce stade et même ses propres annonces puisqu’il l’interdit purement et simplement.
En effet, à ce jour, la Région PACA a déjà sanctionné certaines associations qui l’utilisent dans leur communication publique et pas seulement dans les dossiers administratifs (sites internet, réseaux sociaux, rapports d’activité…). Cette traque aux documents est très clairement organisée à des fins de répression et de censure idéologique. Rien de moins.

Dans une session de délibération pour l’attribution de subventions, des élus majoritairement RN déclarent que l’écriture inclusive est « l’étendard de l’idéologie woke contre laquelle la Région s’est engagée ». Nous sommes effaré·e·s que des élu·e·s, à de si hautes positions de pouvoir, utilisent ces discours réactionnaires, liberticides et fascisants, diffusés d’abord dans les médias d’extrême droite et ensuite normalisés par des personnalités politiques, pour décrédibiliser leurs opposant·e·s et inciter à la haine permanente.

L’écriture inclusive a émergé au XXIe siècle. Elle permet de réparer les infidélités de la langue que l’Académie française avait masculinisé au XVIIe siècle, au temps où les peintresses, les écrivaines et les médecines commençaient à s’affirmer dans la fabrication des savoirs et à menacer l’ordre patriarcal en occupant des positions de pouvoir1. Quatre siècles plus tard et les luttes féministes qu’on connaît, des études montrent que l’usage d’une langue inclusive permet d’éviter des biais de représentation et de « réduire certains stéréotypes induits par l’usage systématique du masculin neutre2».

Autrement dit, on cesse d’imaginer seulement des hommes cisgenres quand les histoires cessent d’être racontées dans une langue au pH masculin aussi « neutre » que du vinaigre.

La langue sert à se comprendre, à échanger, elle peut être un outil d’émancipation aussi bien qu’un outil de contrôle puisqu’elle permet de penser, nommer, décrire et construire le monde et le réel, de s’imaginer y prendre part, de s’y projeter. Dépasser le « masculin neutre » historiquement imposé par l’Académie française signifie questionner la mainmise du masculin sur le monde et permettre aux autres subjectivités et aux autres réalités (femmes, personnes trans, inter, non binaires, queer, agenre, lesbiennes, …) de s’énoncer, de se représenter et donc d’exister.
S’opposer à cette possibilité, c’est s’opposer à la liberté de s’exprimer, de se penser et de se montrer. Dans un monde en évolution, pour préserver une langue, il faut simplement la faire vivre et évoluer, la questionner et lui permettre d’énoncer le présent. Et pour cela, il faut pouvoir la parler et la pratiquer ; donc avoir le droit de s’exprimer.

Ne laissons pas M. Muselier et ses collègues s’arroger seul·e·s ce droit et nous imposer à nouveau une grammaire d’un autre siècle, oppressive, excluante et répressive. Nous nous opposons à cette volonté de renouer avec une guerre au progressisme, vieille, laide, démodée, agressive et dangereuse.
Nous nous opposons à ces discours fascisants qui envahissent nos instances de décision démocratiques.
Nous nous opposons à cette forme de censure qui n’est rien de plus que la volonté stérile et apeurée d’énoncer le monde tels qu’iels voudraient qu’il soit.
Nous demandons l’arrêt de toutes les sanctions infligées aux associations au motif de l’utilisation de l’écriture inclusive.

La langue est politique, les tentatives de M. Muselier en sont la preuve. Ne nous laissons pas musel(i)er !

  1. Éliane Viennot, « Faire et défaire : une langue masculinisée peut être démasculinisée » 2019. ↩︎
  2. Laure Dasinieres, « L’écriture inclusive par-delà le point médian », journal du CNRS, 05.02.2024. ↩︎

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